Volutes, saison II, épisode 5
Dans l’imaginaire de l’auteur de science-fiction Michael Roch, les langues ouvrent un futur décolonisé. Pour ce cinquième épisode de Volutes, le podcast des imaginaires politiques de La Volte et Radio Parleur, nous partons vagabonder dans une littérature caribéenne et afrofuturiste qui déploie avec brio les dimensions mémorielles, sociales et politiques de la guérison.
Pourquoi les romans de science-fiction sont-il si désespérément blancs ? Pourquoi aussi tout ce qui ne l’est pas est irrémédiablement ou presque renvoyé dans la panière des exotismes, des brutes, des barbares sanguinaire qu’il faut éliminer ou qu’il faut plaindre… Pourtant, un mouvement de décolonisation existe dans les littératures de l’imaginaire.
Il avale sa rancœur, puis il se penche sur son bureau. Il a le rictus de Judas. Il murmure an bagay. Il a retrouvé un vyé livre, il dit. Yo ka kriyé’y Traité du Tout-monde, par Édouard Glissant. C’est faux. Sa fo ! Je le regarde gwo zyé. Je résiste à l’envie de krazé tout ! Sa fo. Le Tout-monde, c’est pas un livre. Il ment, j’en suis sûr. Il ment ou je lui écrase le nez.
Michael Roch – Tè Mawon
Dans les Antilles, plus d’exotisme ni d’inégalités
Dans son dernier livre, Tè Mawon, l’auteur martiniquais Michael Roch use de langues multiples. Écrit pour partie en kréyol, mais aussi avec des mots empruntés à l’argot ou à l’anglais, il y développe une intrigue dans laquelle les personnages devront se débattre avec la perte de la mémoire collective. Dans un futur proche, la grande communauté caribéenne forme un État, la démocratie règne enfin. Malgré tout, un mouvement de révolte contre l’oubli de ce qui les a précédé, contre les disparités qui continuent d’exister, vont venir bouleverser cet équilibre.
Une science-fiction afrofuturiste qui percute la langue coloniale hégémonique
Avec quelle langue peut-on cheminer de l’antérieur vers le futur ? Existe t-il une lutte entre ces langues kréyol et françaises, l’argot et l’anglais ? Pour Nadia Chonville, sociologue et autrice de fantasy, « Le voir comme un combat, c’est apposer le regard qu’on a quand on a une pratique de langue hégémonique, alors que nous on a une langue maternelle dominée, empêchée. Elle s’invite donc partout, au milieu d’une phrase, par exemple. »
Quand Annabel Guérédrat a joué son spectacle Mami Sargassa à Brest, sous forme de lecture performative. « Ce conte, je l’ai écrit en français, en anglais, en espagnol, et en kréyol. Et quand il m’a fallu performer en kréyol, il m’est arrivé quelque chose d’extra-ordinaire : j’ai tellement mâché mâchouillé ce texte, que j’ai fait un voyage dans la cale d’un navire négrier. Et j’en ai encore des frissons. » Une remontée dans le temps corporelle, par le vaisseau d’une langue nouée, arnachée au corps.
« Ce que je trouve génial dans Tè Mawon c’est cet objectif de soigner la terre, de notre base, ce qui se passe dans nos entrailles. Car ce qui a été fait n’est pas seulement une blessure qui nous a été faite individuellement, mais à toustes, et à la terre », explique Nadia Chonville.
La langue de Michael Roch se réinvente, et l’enjeu est ainsi de se la réapproprier, pour parvenir à dire son histoire à soi.
I ka mimiré : ce que cet homme a écrit au siècle dernier n’est qu’une vision de l’esprit. Le Tout-monde n’est pas un territoire, mais une pensée à la croisée de la politique, de la philosophie et de la poésie. Il dit kon sa, que la quête que je mène depuis les ravines de Lanvil n’existe que dans mon cerveau. Retrouver la terre des ancêtres et puis après ? Que cessent les discriminations, les oppressions ? C’était le combat de nos aïeux, ce n’est plus le nôtre. La grève contre les classes sociales d’en-haut et les corpolitiques est éternelle. Elle n’a même plus de revendications claires. C’est un fourre-tout émotif, de rage et de colère qui n’appartiennent qu’à ceux qui se battaient vraiment pour leur émancipation. C’est bon, c’est fini ! Le Tout-monde n’existe pas. La terre de nos ancêtres n’a jamais existé. La vraie terre, nous l’avons détruite, nous l’avons rasée. I ka mimiré que toutes mes magouilles pou ritrouvé’y ne servent à rien. Il dit que je n’aurais jamais dû remonter
Michael Roch – Tè Mawon
Annabel Guérédrat est artiste chorégraphe, performeuse, et vit et travaille en Martinique. Elle est aussi co-commissaire du premier Festival International d’Art Performance, le FIAP Martinique depuis 2017. Elle est praticienne de soins de protections et de guérison, pour elle, son bébé et sa famille élargie. Elle est sorcière, au sens où elle a la capacité de réunir des personnes de champs artistiques et de disciplines très différents, autour de thèmes qui lui sont chers, tels l’écologie décoloniale, les afro-féminismes, les liens de parentalité. Elle a créé la Cie Artincidence depuis 19 ans et a à son actif plus d’une trentaine de pièces chorégraphiques et performances.
http://artincidence.fr/
http://fiap-martinique.com/
Nadia Chonville est écrivaine. Docteure en sociologie et professeure d’histoire et de géographie, elle enseigne actuellement au Lycée Victor Schoelcher et à l’Université des Antilles. Diplômée de Sciences Po Grenoble, Nadia Chonville administre depuis une dizaine d’années des structures associatives dans les milieux culturels et éducatifs. Elle a été fondatrice et présidente du Bureau des Arts de Sciences Po Grenoble (2007-2010), présidente et trésorière de l’association pour la promotion de Sicences Po en Martinique, de l’Association des doctorant·e·s et jeunes chercheur·e·s de la Martinique, du laboratoire de fabrication VANLAB. Elle est actuellement trésorière de l’association ETC_Caraïbe. Nadia Chonville est l’autrice de la saga de fantasy Rose de Wégastrie. Elle publie par ailleurs, dans le cadre de son activité scientifique, des articles sur la performance du genre sur les scènes du théâtre martiniquais.
Michael Roch est écrivain et scénariste de science-fiction et vit actuellement en Martinique. Il a été remarqué pour son roman Moi, Peter Pan, aux Éditions Mu (2017), sélectionné au Grand Prix de l’Imaginaire. Membre de la Fabrique décoloniale, réunissant plusieurs sociologues, politologues et artistes autour des problématiques de la décolonialité, il mène depuis 2015, année de son retour aux Antilles d’où il est originaire, plusieurs ateliers d’écriture en milieu carcéral et universitaire autour du thème de l’Afrofuturisme – mouvement littéraire développant des contre-dystopies afrocentrées. Il est aussi le créateur et réalisateur de la chaîne de vulgarisation littéraire, La Brigade du Livre sur Youtube, rassemblant une communauté de plus de 35 000 abonnés et anime Latilié, un atelier d’écriture créative, sur Twitch.
0 commentaires