ENTRETIEN AVEC L’AUTEUR
Tè mawon est le premier roman de science fiction caribéen francophone. Quels sont selon toi, aujourd’hui, les enjeux d’une sciencefiction caraïbocentrée ? Et qu’estce que l’afrofuturisme ?
L’afrofuturisme, en littérature, est la projection de nos sociétés afrodescendantes dans un futur prophétique où les individus ne sont pas discriminés ou oppressés. Ce sont des récits afrocentrés qui tendent à rééquilibrer une littérature qui ne propose que des modèles positifs blancs et occidentaux, auxquels la majeure partie des populations caribéennes n’a jamais réussi à s’identifier, c’est-à-dire des récits qui parlent de ces sociétés, racontées par elles et pour elles. Tout l’enjeu de la SF caribéenne commence là où l’afrofuturisme échoue : envisager une SF non seulement où les personnes noires ne sont pas l’objet d’un regard oppresseur, mais aussi une SF multi voire transculturelle, au regard de l’héritage immatériel laissé par Édouard Glissant et d’autres penseurs caribéens. Cette SF ne serait plus afrocentrée, mais créolisante.
Le titre de ton dernier roman qui paraîtra en mars est Tè mawon. Peux-tu nous en dire plus ?
Tè mawon, littéralement Terre marronne, fait explicitement référence au marronnage des personnes esclavisées : c’est-à-dire leur fuite vers la liberté et leur vie en dehors du système oppressif. La piraterie n’est jamais finie. Le marronnage n’a jamais cessé. La terre des Caraïbes reste et restera un ter- ritoire où l’espoir est contre-dystopique : retrouver notre souveraineté, notre libre arbitre, et accéder au bonheur (tout ce que la dystopie ne permet pas). En kréyol, mawon possède aussi le sens de « perdu » : an bal mawon, c’est une balle perdue, une balle qui a filé, qu’on a laissé s’échapper. Toute la quête des personnages du roman est aussi de retrouver cette terre perdue.
Quelle a été ta bibliothèque idéale pour écrire ton livre ?
Il n’y a pas de bibliothèque idéale, elle est propre à chacun. Elle se construit des livres qui nous font vibrer, qui nous émeuvent ou qui nous hachent. Dans la mienne, il y aurait Le Livre de l’intranquillité, de Fer- nando Pessoa, il y aurait La Maison des Épreuves, de Jason Hrivnak, il y aurait La Horde du Contrevent, d’Alain Damasio, il y aurait un album d’Eddy de Pretto, il y aurait une bande dessinée de Serpieri, il y aurait un tableau de Catherine Duchêne, il y aurait du Tade Thompson et du Toni Morrison, il y aurait beaucoup de poésie, venue de partout, d’ailleurs et de nulle part.
Écrivain et scénariste de science-fiction né en 1987 à Lyon, Michael Roch vit actuellement en Martinique. Il a été remarqué pour son roman Moi, Peter Pan, paru aux Éditions Mü (2017), sélectionné au Grand Prix de l’Imaginaire. Membre de la Fabrique décoloniale, qui réunit sociologues, politologues et artistes autour des problématiques de la décolonialité, il mène depuis 2015, année de son retour aux Antilles d’où il est originaire, des ateliers d’écriture en milieu carcéral et universitaire autour du thème de l’afrofuturisme – mouvement littéraire développant des contre-dystopies afrocentrées.
Il est aussi le créateur et réalisateur de la chaîne de vulgarisation littéraire La Brigade du Livre sur Youtube, qui rassemble une communauté de plus de 35 000 abonnés, et anime Latilié, un atelier d’écriture créative, sur Twitch.
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