AU BAL DES ACTIFS
Interview d’Emmanuel Delporte pour sa nouvelle Vertigeo du recueil Au bal des actifs – Demain, le travail
Interview d’Emmanuel Delporte
Pour commencer, peux-tu nous parler un peu de toi ? Qui es-tu, Emmanuel Delporte ?
J’ai 37 ans et de moins en moins de cheveux. Je suis infirmier – ce qui me classe dans la catégorie fainéant de fonctionnaire, si j’en crois certains hommes politiques. Je suis aussi écrivain, mais ce n’est pas un métier, sinon ça se saurait. J’aime la bonne bouffe, le cinéma, les jeux vidéo, le basket et le football américain. J’aime voyager et faire la fête. Je suis quelqu’un de passionné, qui aime la vie. En ce moment, je prends des cours de guitare et je refais ma culture rock. J’essaie de ne pas trop calculer. Un peu quand même, parce que j’ai des enfants (deux) et que je m’efforce d’assumer mes choix. Je n’ai pas le droit d’être égoïste. Mais je m’accroche à mes valeurs, à ma vision de la vie. Je veux rester incandescent. Carpe diem.
Tu es habituellement coutumier du genre fantastique. Comment as-tu vécu cet exercice de composition d’une nouvelle de SF pour les éditions La Volte ?
En réalité, j’ai sans doute écrit davantage de SF que de Fantastique. Mais c’est vrai que jusqu’ici, j’avais connu plus de réussite avec le Fantastique. J’ai un pavé à tendance cyberpunk dans mes tiroirs, un genre que j’affectionne particulièrement. (Catherine Dufour validera ce message) La SF me fascine depuis que je suis gamin, que ce soit en littérature, en cinéma ou en BD. Les auteurs de SF sont des visionnaires, des créatifs qui se projettent en avant et imaginent l’avenir de notre monde. Ils mettent souvent dans le mille. « 1984 » est en tête des ventes sur Amazon depuis l’élection de Donald Trump. « Le meilleur des mondes » apparaît de plus en plus pertinent, tout comme « Soleil vert » et d’autres classiques. La SF pour moi, c’est une manière subtile et détournée de parler du présent. Les récits que je préfère sont ceux qui transposent des problématiques actuelles et des questions de société sensibles dans des univers fictifs. Le très bon film District 9 en est un exemple parmi d’autres, mais on pourrait aussi citer Ayerdhal, qui revendiquait cette approche.
Avec Vertigeo, tu as choisi de traiter le thème du travail sous l’angle du châtiment éternel, et de l’asservissement des peuples. C’est dur, très dur. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Les réacs sont devenus des révolutionnaires, en croisade pour rétablir des schémas qu’on pensait oubliés. Avec la hausse constante du chômage et la pression qu’elle engendre, on entend des discours qui me semblent venir d’une époque révolue. Travail, famille, patrie. Certains hommes politiques utilisent le chômage comme arme de frappe électorale. Ils parlent de travailler plus, de travailler plus longtemps, mais sans définir la notion de travail. Alors que dans certains pays, les hommes (et femmes) politiques réfléchissent aux notions de bien-être et de temps libre, allant jusqu’à tester le revenu universel, certains idéologues Français veulent obliger les bénéficiaires du RSA à remplir des travaux d’intérêt généraux et remettent en cause la diminution du temps de travail.
J’ai cessé d’être naïf lorsque j’ai compris que les hommes politiques n’œuvraient pas, ou rarement, pour le bien général. Ce sont des professionnels du pouvoir. Or, pour l’obtenir, ils doivent s’allier avec ceux qui font tenir un système économique basé sur la finance : les banquiers, les actionnaires et les grands industriels. La réalité, c’est que le travail est rarement une activité libératrice ou épanouissante. Abrutir les gens permet de mieux les manipuler. Le but du travail reste avant tout de contrôler la population. Travaille, consomme, tais-toi. Le travail est le socle d’un système économique qui est à son apogée. Dans mon monde rêvé, utopique, des robots accompliraient à notre place les tâches indispensables, nous permettant de nous concentrer sur l’art, la philosophie, la métaphysique, la recherche. Il est évident que nos gouvernants ont un tout autre but. Il s’agit de contrôler les populations afin de taper dans la caisse en toute impunité. Regardons ce qui se passe en Roumanie, où les gouvernants auraient dû demander des cours à leurs homologues Français ou Italiens. Ils manquent de subtilité ( bastamag.net/Amnistie-de-politiciens-corrompus… ). Quand on voit que presque tous les candidats à la présidentielle sont sous le coup d’instructions judiciaires ou ont été condamnés, ça laisse songeur. La réalité, c’est que 1% de la population détient 90% des ressources, et qu’on ne s’enrichit pas en gardant les mains propres. L’évasion fiscale, les emplois fictifs, ne sont que la partie visible de l’iceberg. Pour le coup, ce n’est pas de la SF. La réalité dépasse toujours la fiction.
Quelles sont les sources d’inspiration de Vertigeo ?
Vertigeo parle d’une dictature. Pour la décrire, je me suis inspiré de deux tyrannies politico-économiques qui se sont affrontés pendant trente ans : le communisme et le capitalisme. Je n’ai fait qu’amplifier la réalité de notre monde pour imaginer l’univers de Vertigeo. Une majorité crève pour qu’une minorité jouisse de tous les avantages. Le communisme a échoué à faire accepter cette injustice à la population parce que le régime Stalinien a tout misé sur la répression et la terreur. Le capitalisme a réussi parce qu’il a vendu du rêve et flatté les émotions primaires de l’être humain : l’ambition, l’égo, la fortune et la gloire. Bien plus subtil, bien plus dangereux. Dans Vertigeo, les ouvriers de la tour sont persuadés que leur travail va servir à toute l’humanité. Ceux qui réfléchissent acceptent leur sort parce qu’ils pensent servir une grande cause, qui dépasse leurs existences. Les autres suivent le mouvement parce que c’est comme ça, ils sont persuadés que c’est l’ordre naturel des choses. Ces ouvriers ne sont pas si différents de nous : on fait des études, on cherche un emploi, on fait des enfants, on achète une maison, sans vraiment réfléchir à des alternatives possibles. Bon, notre vie est plus agréable que celle des ouvriers de ma tour imaginaire, c’est certain. Mais cette qualité de vie est très récente, ne concerne qu’une infime partie de la population mondiale et rien ne dit que ça durera. Pour décrire la vie dans la tour, je me suis un peu inspiré de « Germinal » et de la vie des mineurs. Une époque révolue que certains patrons, financiers ou politiques regrettent, et qui perdure malheureusement dans de nombreux pays. Le cobalt utilisé pour fabriquer nos smartphones est ainsi extrait en grande majorité par des enfants de sept ans, dont les conditions de vie ne sont pas si éloignées de ce que j’écris dans ma nouvelle. (lire à ce sujet le rapport d’Amnesty International amnesty.org/fr/press-releases/2016/01/child-labour…)
Tu as proposé deux nouvelles dans le cadre du recueil, qui n’ont pas été simples à départager. Peux-tu nous parler un peu de Jour de grève ?
Je me demande quel sera l’avenir des CHU. Je suis infirmier depuis 10 ans et je constate une dégradation constante des conditions de travail. La gestion purement comptable du système de santé aboutit à des drames humains. Des patients meurent, des soignants se suicident. Dans Jour de grève, un flic mène une enquête dans un centre de soins du futur, où ont lieu de nombreux décès de patients. Ces décès coïncident avec le test de robots auxiliaires de santé. Le contexte social est très dur et fait résonance avec les grandes manifestations qui ont eu lieu pendant la Loi travail. Mon enquêteur se rend compte que ces robots de la santé sont utilisés par tous les bords politiques afin de manipuler l’opinion publique. J’ai voulu mêler un côté paranoïaque à la Philip K. Dick avec une autopsie sociale et noire à la Dennis Lehanne. J’aime bien ce texte, mais il explore beaucoup de pistes qui sont difficiles à traiter dans un format court. Vertigeo est sans doute plus homogène, plus percutant, plus radical. Ceci dit, j’espère que les lecteurs pourront bientôt lire Jour de grève et qu’il nourrira leur réflexion sur l’avenir des hôpitaux Français.
Enfin, y a t-il un message particulier que tu souhaiterais faire passer à ceux qui liront – qui ont lu – ta nouvelle ?
En tant qu’écrivain, je m’efforce de créer des textes qui soient à la fois divertissants et porteurs de sens. Je ne me sers pas de la littérature comme d’une tribune politique, mais un artiste a le devoir de réfléchir au monde qui l’entoure, et de surligner les injustices. J’espère que les lecteurs de Vertigeo en ont retiré quelque chose, une réflexion qui les poursuit après le point final.
Nous vivons sans doute une période charnière de l’Histoire et je serai bien en peine de prédire comment les choses vont tourner. Mais nous pouvons toujours nous retourner pour voir le chemin accompli. Il n’y a pas si longtemps, les enfants travaillaient à l’usine, dans les champs ou à la mine. Il n’y avait ni congés payés, ni loisirs, ni RTT.
Il y a toujours de l’espoir, mais il est parfois nécessaire de se battre pour défendre ses idéaux.
– Propos recueillis par Anne Adam
Pour commencer, peux-tu nous parler un peu de toi ? Qui es-tu, Emmanuel Delporte ?
J’ai 37 ans et de moins en moins de cheveux. Je suis infirmier – ce qui me classe dans la catégorie fainéant de fonctionnaire, si j’en crois certains hommes politiques. Je suis aussi écrivain, mais ce n’est pas un métier, sinon ça se saurait. J’aime la bonne bouffe, le cinéma, les jeux vidéo, le basket et le football américain. J’aime voyager et faire la fête. Je suis quelqu’un de passionné, qui aime la vie. En ce moment, je prends des cours de guitare et je refais ma culture rock. J’essaie de ne pas trop calculer. Un peu quand même, parce que j’ai des enfants (deux) et que je m’efforce d’assumer mes choix. Je n’ai pas le droit d’être égoïste. Mais je m’accroche à mes valeurs, à ma vision de la vie. Je veux rester incandescent. Carpe diem.
Tu es habituellement coutumier du genre fantastique. Comment as-tu vécu cet exercice de composition d’une nouvelle de SF pour les éditions La Volte ?
En réalité, j’ai sans doute écrit davantage de SF que de Fantastique. Mais c’est vrai que jusqu’ici, j’avais connu plus de réussite avec le Fantastique. J’ai un pavé à tendance cyberpunk dans mes tiroirs, un genre que j’affectionne particulièrement. (Catherine Dufour validera ce message) La SF me fascine depuis que je suis gamin, que ce soit en littérature, en cinéma ou en BD. Les auteurs de SF sont des visionnaires, des créatifs qui se projettent en avant et imaginent l’avenir de notre monde. Ils mettent souvent dans le mille. « 1984 » est en tête des ventes sur Amazon depuis l’élection de Donald Trump. « Le meilleur des mondes » apparaît de plus en plus pertinent, tout comme « Soleil vert » et d’autres classiques. La SF pour moi, c’est une manière subtile et détournée de parler du présent. Les récits que je préfère sont ceux qui transposent des problématiques actuelles et des questions de société sensibles dans des univers fictifs. Le très bon film District 9 en est un exemple parmi d’autres, mais on pourrait aussi citer Ayerdhal, qui revendiquait cette approche.
Avec Vertigeo, tu as choisi de traiter le thème du travail sous l’angle du châtiment éternel, et de l’asservissement des peuples. C’est dur, très dur. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Les réacs sont devenus des révolutionnaires, en croisade pour rétablir des schémas qu’on pensait oubliés. Avec la hausse constante du chômage et la pression qu’elle engendre, on entend des discours qui me semblent venir d’une époque révolue. Travail, famille, patrie. Certains hommes politiques utilisent le chômage comme arme de frappe électorale. Ils parlent de travailler plus, de travailler plus longtemps, mais sans définir la notion de travail. Alors que dans certains pays, les hommes (et femmes) politiques réfléchissent aux notions de bien-être et de temps libre, allant jusqu’à tester le revenu universel, certains idéologues Français veulent obliger les bénéficiaires du RSA à remplir des travaux d’intérêt généraux et remettent en cause la diminution du temps de travail.
J’ai cessé d’être naïf lorsque j’ai compris que les hommes politiques n’œuvraient pas, ou rarement, pour le bien général. Ce sont des professionnels du pouvoir. Or, pour l’obtenir, ils doivent s’allier avec ceux qui font tenir un système économique basé sur la finance : les banquiers, les actionnaires et les grands industriels. La réalité, c’est que le travail est rarement une activité libératrice ou épanouissante. Abrutir les gens permet de mieux les manipuler. Le but du travail reste avant tout de contrôler la population. Travaille, consomme, tais-toi. Le travail est le socle d’un système économique qui est à son apogée. Dans mon monde rêvé, utopique, des robots accompliraient à notre place les tâches indispensables, nous permettant de nous concentrer sur l’art, la philosophie, la métaphysique, la recherche. Il est évident que nos gouvernants ont un tout autre but. Il s’agit de contrôler les populations afin de taper dans la caisse en toute impunité. Regardons ce qui se passe en Roumanie, où les gouvernants auraient dû demander des cours à leurs homologues Français ou Italiens. Ils manquent de subtilité ( bastamag.net/Amnistie-de-politiciens-corrompus… ). Quand on voit que presque tous les candidats à la présidentielle sont sous le coup d’instructions judiciaires ou ont été condamnés, ça laisse songeur. La réalité, c’est que 1% de la population détient 90% des ressources, et qu’on ne s’enrichit pas en gardant les mains propres. L’évasion fiscale, les emplois fictifs, ne sont que la partie visible de l’iceberg. Pour le coup, ce n’est pas de la SF. La réalité dépasse toujours la fiction.
Quelles sont les sources d’inspiration de Vertigeo ?
Vertigeo parle d’une dictature. Pour la décrire, je me suis inspiré de deux tyrannies politico-économiques qui se sont affrontés pendant trente ans : le communisme et le capitalisme. Je n’ai fait qu’amplifier la réalité de notre monde pour imaginer l’univers de Vertigeo. Une majorité crève pour qu’une minorité jouisse de tous les avantages. Le communisme a échoué à faire accepter cette injustice à la population parce que le régime Stalinien a tout misé sur la répression et la terreur. Le capitalisme a réussi parce qu’il a vendu du rêve et flatté les émotions primaires de l’être humain : l’ambition, l’égo, la fortune et la gloire. Bien plus subtil, bien plus dangereux. Dans Vertigeo, les ouvriers de la tour sont persuadés que leur travail va servir à toute l’humanité. Ceux qui réfléchissent acceptent leur sort parce qu’ils pensent servir une grande cause, qui dépasse leurs existences. Les autres suivent le mouvement parce que c’est comme ça, ils sont persuadés que c’est l’ordre naturel des choses. Ces ouvriers ne sont pas si différents de nous : on fait des études, on cherche un emploi, on fait des enfants, on achète une maison, sans vraiment réfléchir à des alternatives possibles. Bon, notre vie est plus agréable que celle des ouvriers de ma tour imaginaire, c’est certain. Mais cette qualité de vie est très récente, ne concerne qu’une infime partie de la population mondiale et rien ne dit que ça durera. Pour décrire la vie dans la tour, je me suis un peu inspiré de « Germinal » et de la vie des mineurs. Une époque révolue que certains patrons, financiers ou politiques regrettent, et qui perdure malheureusement dans de nombreux pays. Le cobalt utilisé pour fabriquer nos smartphones est ainsi extrait en grande majorité par des enfants de sept ans, dont les conditions de vie ne sont pas si éloignées de ce que j’écris dans ma nouvelle. (lire à ce sujet le rapport d’Amnesty International amnesty.org/fr/press-releases/2016/01/child-labour…)
Tu as proposé deux nouvelles dans le cadre du recueil, qui n’ont pas été simples à départager. Peux-tu nous parler un peu de Jour de grève ?
Je me demande quel sera l’avenir des CHU. Je suis infirmier depuis 10 ans et je constate une dégradation constante des conditions de travail. La gestion purement comptable du système de santé aboutit à des drames humains. Des patients meurent, des soignants se suicident. Dans Jour de grève, un flic mène une enquête dans un centre de soins du futur, où ont lieu de nombreux décès de patients. Ces décès coïncident avec le test de robots auxiliaires de santé. Le contexte social est très dur et fait résonance avec les grandes manifestations qui ont eu lieu pendant la Loi travail. Mon enquêteur se rend compte que ces robots de la santé sont utilisés par tous les bords politiques afin de manipuler l’opinion publique. J’ai voulu mêler un côté paranoïaque à la Philip K. Dick avec une autopsie sociale et noire à la Dennis Lehanne. J’aime bien ce texte, mais il explore beaucoup de pistes qui sont difficiles à traiter dans un format court. Vertigeo est sans doute plus homogène, plus percutant, plus radical. Ceci dit, j’espère que les lecteurs pourront bientôt lire Jour de grève et qu’il nourrira leur réflexion sur l’avenir des hôpitaux Français.
Enfin, y a t-il un message particulier que tu souhaiterais faire passer à ceux qui liront – qui ont lu – ta nouvelle ?
En tant qu’écrivain, je m’efforce de créer des textes qui soient à la fois divertissants et porteurs de sens. Je ne me sers pas de la littérature comme d’une tribune politique, mais un artiste a le devoir de réfléchir au monde qui l’entoure, et de surligner les injustices. J’espère que les lecteurs de Vertigeo en ont retiré quelque chose, une réflexion qui les poursuit après le point final.
Nous vivons sans doute une période charnière de l’Histoire et je serai bien en peine de prédire comment les choses vont tourner. Mais nous pouvons toujours nous retourner pour voir le chemin accompli. Il n’y a pas si longtemps, les enfants travaillaient à l’usine, dans les champs ou à la mine. Il n’y avait ni congés payés, ni loisirs, ni RTT.
Il y a toujours de l’espoir, mais il est parfois nécessaire de se battre pour défendre ses idéaux.
– Propos recueillis par Anne Adam
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