[VIDÉO] TÈ MAWON, par Michael Roch : enjeux d’une science-fiction afrofuturiste caribéenne

7 Mar 2022 | Actus

À l’approche de la sortie en librairie de son roman Tè mawon le 10 mars, l’auteur Michael Roch déroule les fils de la trame de son intrigue : la hiérarchisation sociétale, la colonialité langagière et humaine, incarnées par une ville qui, bien que fictionnelle, est entièrement et véritablement ancrée dans le réel. Bienvenue en Martinique, vivier à la fois fécond et cruel de Tè mawon.

Je m’appelle Michael Roch. Je suis écrivain de science-fiction caribéenne, précisément. J’essaie, à travers mon travail, de présenter des récits qui soient afro-centrés, ou en tout cas caribéo-centrés… histoire de présenter, ou d’enrichir les littératures de l’imaginaire avec un aspect qui n’a pas encore été véritablement exploré. C’est-à-dire l’imaginaire des Antilles.

Le kréyol, c’est facile. Tu peux apprendre vite. Surtout toi. Moi, je parle français parce que je préfère. Du moins, j’m’en fous quoi. Mon père, il parle kréyol…

Je voulais t’emmener quelque part, au cœur du quartier Trenelle-Citron, qui est un quartier qui subit un peu une réputation de bidonville, de favelas ; déjà parce qu’il y ressemble, et puisque c’est un quartier qui se construit avec l’exode rural de la Martinique dans les années 1950. Et au cœur de ce quartier, il y a une petite chute d’eau. Elle marque un peu la fin de la ville, le retour dans la nature, dans le Zion. Et quand il y a des fortes pluies, cette chute d’eau se transforme en véritable cascade, qui tombe littéralement dans la ville. Et au-dessus de cette cascade, tu as une cité, la cité de Godissard, qui est un autre quartier sensible de Fort de France, qui surplombe littéralement la ville de Fort de France. Et c’est à Godissard que commence le roman de Tè mawon. Sauf que dans Tè mawon, dans le roman, Godissard est littéralement en-dessous de la ville, au lieu d’être au-dessus.

Une des choses frappantes aux Antilles, c’est ce rapport à la verticalité des choses à l’intérieur des îles. Alors effectivement, on a l’horizon autour avec la mer et l’océan, mais à l’intérieur on est toujours face à quelque chose. On parlait de la falaise de cette cascade de Trenelle-Citron, on a aussi des murs de végétation qui se dressent devant nous quand on est dans le Zion. On a aussi la verticalité des bâtiments quand on est enfermé dans le centre-ville dans le Fort de France. Et il y a aussi ce mur social, qui est très présent. C’est très hiérarchisant, aux Antilles. Donc il fallait abattre tout ça pour s’intéresser au futur, penser quelque chose qui s’étend à l’horizontal du Venezuela à Cuba, et c’est là que Lanvil a émergé. Enorme mégapole qui couvre toutes les îles et qui paradoxalement s’élève aussi en tour. Ce mélange d’horizontalité et de verticalité.

Lanvil, c’est le centre-ville, en fait. C’est le centre-ville de Fort de France et c’est là où les habitants de la Martinique viennent faire la ville, faire le centre-ville. Lanvil, c’est exactement ça : c’est faire la ville, c’est faire corps avec le reste de la Martinique. C’est faire la société. Et par extrapolation, c’est faire l’humanité.

Lanvil, du coup, dans mon roman, c’est un lieu où le palmier est une illusion. Tout a été rasé, et du coup, il n’y a plus de nature. Il n’y a surtout plus l’exotisme que provoque la nature antillaise pour le reste du monde. Ça, ça n’existe plus. Il ne reste plus que les hommes et les femmes qui sont sur ce lieu, et la grande question qui reste, c’est « qu’est-ce qu’on fait avec ça ? comment est-ce qu’on fait corps avec le monde ? ». C’est ça, le « Tout-monde », ce que cherchent les personnages du roman.

… des jolis jardins publics et des grandes places saupoudrées de nanotek. Vous savez, avec des images qu’on diffuse dans les fontaines à vapeur pour faire crari y a des oiseaux, ou des pétales qui tombent du ciel. En haut, on respirait. L’espace, l’air, les couleurs…

Et du coup, tout part de là. On suit une bande de personnages qui vivent de bricole, de débrouille. On appelle ça des débouya, qui sont persuadés que sous la ville de Lanvil se trouvent des restes de la terre que leurs ancêtres ont connue. Cette terre-là, ils l’appellent le « Tout-monde », parce qu’ils ont entendu parler de ce territoire de félicité. Ils ne savent pas que le « Tout-monde », c’est une véritable idée, c’est un véritable concept développé par un philosophe martiniquais, Édouard Glissant, qui pose une poétique de la relation, par extrapolation, du vivre-ensemble, on va dire. Et donc ces débouya, en partant à la recherche du « Tout-monde », se retrouvent en quelque sorte à la recherche d’eux-mêmes. À la recherche de comment eux, par leurs actes, ils pourraient atteindre un certain bonheur, une libération, un épanouissement.

On a longé les réseaux de tapis qui roulent, les allées toutes douces avec des couleurs pastel. J’ai vu des jolis jardins publics et des grandes places saupoudrées de nanotek. Vous savez, avec des images qu’on diffuse dans…

Y’a du coup deux grandes questions que pose le roman. La première, c’est « où est-ce qu’on va, où allons-nous ? ici, aux Antilles, quel est notre futur ? » : ça fait partie des trois grandes questions existentielles que tout individu devrait de poser – d’où l’on vient, qui on est, et où est-ce qu’on va. Et étrangement, la littérature antillaise s’est toujours intéressée aux deux premières questions, mais jamais à la troisième. Du coup, Tè mawon se propose être une trace d’exploration de cette question-là, du futur.

Et la deuxième question que pose le roman s’inscrit dans une dynamique sociétale, dans cette société multi-trans-culturelle, dans cette société créolisante, qui est faite d’apports de plusieurs cultures. Cette question, c’est « à quel moment j’accepte qu’une langue prenne le dessus sur l’autre, en moi ? à quel moment j’accepte qu’une langue en écrase une autre ? ». Ou qu’une culture, tout simplement, en écrase une autre. C’est une question qui taraude un personnage principal de ce roman. C’est aussi la question que je me pose en tant qu’auteur, en tant que citoyen, en tant qu’homme à l’intérieur de ce monde.

Au bout du long sifflet insipide du transpod, une foule enfiévrée par le ladja des tambours m’essore. La grève a pénétré Lanvil, elle stationne en masses aux portes de plusieurs corpolitiques. Ils sont des centaines de milliers. Peut-être plus d’un million. Voilà Lanvil que j’aime…

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Grand prix SGDL : 3 auteurs de La Volte séléctionnés

Grand prix SGDL : 3 auteurs de La Volte séléctionnés

La Société des Gens de Lettres (SGDL), qui remet chaque année douze prix littéraires dotés et trois bourses de création, crée un nouveau prix destiné à récompenser une œuvre de littérature relevant du domaine de l’imaginaire. Trois auteurs de La Volte ont été sélectionnés.

1 Commentaire

  1. Ça fait du bien d’écouter quelqu’un qui prend le temps de dérouler sa pensée sans frénésie de paroles.

La Volte