Interview de Vincent Laurent

2 Mar 2017 | Actus

AU BAL DES ACTIFS

Vincent Laurent > Génération Précaire / Labyrinthe.info / OuiShare

Interview de Vincent Laurent

Mar 2, 2017 | Actus

#DemainLeTravail propose également à quelques invités de s’exprimer sur leur perception des devenirs du travail.Rencontre aujourd’hui avec Vincent Laurent, membre de Génération Précaire …

Salut, Vincent ! Tu es « CM itinérant », membre d’assos qui repensent et explorent activement la réalité – et les devenirs – du travail. Peux-tu revenir pour nous sur ton parcours ?

Très tôt dans mes études, j’ai su exactement ce que je ne voulais pas faire comme travail, et là où je voulais m’épanouir. La quête de sens et la lutte contre l’ennui ont été, depuis mon DUT Gestion entreprise et administration en 2005-2007, des premiers éléments constitutifs de ma façon de penser le travail. C’est ce qui m’a poussé à fait faire un premier choix : effectuer un Erasmus en Finlande 3 mois, en terre inconnue donc, et ne pas faire un stage en face de chez mes parents auprès d’une maison de retraite comme assistant RH. Le second choix aura été d’étudier la gestion des associations et notamment la gestion de projets dans l’ESS à Fontainebleau. Le lieu de mes études (la forêt) correspondait à la Finlande d’où je revenais tout juste. À la fin de mes études, ma première désillusion a été de ne pas trouver tout de suite le poste que je recherchais. J’ai donc accepté, par défaut, cette règle du jeu qui est de passer par la case “contrat/statut précaire” et donc, pour mon cas, par un service civil volontaire dans une association étudiante. Ceci m’a permis de me faire rentrer dans le monde associatif et de me faire un réseau.

Et c’est juste après cette première expérience que j’ai trouvé mon premier CDI (en 2009) : chargé de projets en éducation à l’environnement auprès d’un public jeune (avec voyages/déplacements, en France et à l’étranger). 4 ans j’y ai travaillé et là aussi, désillusion, je me suis rendu que malgré le sens de la mission (éduquer les jeunes aux enjeux des changements climatiques) je m’ennuyais de plus en plus. Tous les jours les mêmes tâches administratives, les mêmes mails à traiter, le même calendrier chaque année, la même routine. Le management n’a pas joué en ma faveur non plus. Me demander d’être et de faire ce que je ne veux pas et ce que je ne trouve pas avoir de sens par rapport à ma mission, c’était ne plus me considérer. Me faire porter la responsabilité de mon inefficacité lors de plusieurs réunions, ça a eu l’effet inverse de celui escompté, qui était de me remettre au boulot. Cela m’a fait souffrir et démotivé encore un peu plus. J’ai d’ailleurs été arrêté par la médecine du travail pendant la dernière année. Dans le cadre de mes missions, je souhaitais notamment développer les réseaux sociaux, animer la communauté et la faire grandir. Ce fut un échec. En tous cas, en ma présence, puisque depuis l’association s’y est mise. Bref. Ma conviction pour ce sujet n’aura pas été inutile.

À côté de ce travail, depuis 2009, je m’étais engagé dans différentes associations : une association étudiante où j’ai pu découvrir la gestion d’une association ainsi qu’au REFEDD (premier engagement écolo); Le Blog du DD devenu Labyrinthe.info où j’ai pu découvrir le monde du digital, de l’influence et l’organisation d’événements; en 2011 avec Génération Précaire où j’ai pu être amené à intervenir dans les médias et à de multiples réunions en présence d’acteurs publics ou privés (politique, syndicats, …) pour faire avancer la cause des jeunes stagiaires précaires et des volontaires en service civique; puis en 2013 Alternatiba et l’engagement pour le climat à travers la mise en avant d’initiatives locales et la mobilisation pour un grand événement en septembre 2015 avant la COP21.

Ce sont tous ces engagements associatifs qui m’ont mis en confiance et convaincu que je pouvais être capable de faire autre chose que mon ancien travail. J’y ai acquis des expériences mais aussi j’ai trouvé un sens à ma vie grâce à l’engagement pour des causes : l’écologie, la lutte contre la précarité, les initiatives locales innovantes, les nouvelles formes de travail, … De tout cela, j’ai fait mon métier et mon activité.

Ma nouvelle vie au travail a commencé dès lors que j’ai quitté ce job, en 2014, après une rupture conventionnelle (alors que mes patrons de l’époque voulaient me proposer une démission indemnisée donc sans les droits. En refusant leur proposition je me suis affirmé). Puis après une mission de 2 mois et demi pour la campagne des municipales des écolos dans le 20e, j’ai fait une pause, je me suis promené en France, je me suis recherché un peu plus encore. Après quelques rendez-vous avec des amis, et une formation à Hopwork, le travail indépendant ou “freelancing” est devenu comme une évidence. Je voulais choisir mon métier, mon travail et mon organisation du travail. Et c’est Aurélia, qui avait animée la formation Hopwork “la posture du freelance” qui m’a mis le pied à l’étrier. D’un coup j’ai : commencé une mission de relations presse pour un entrepreneur social et suis rentré à Coopaname (coopérative d’activité et d’emploi) pour ensuite me faire CDIsé. J’ai découvert alors, après une certaine adaption, que ça me plaisait de travailler de chez moi, de choisir mes horaires en fonction de ma forme, de me fixer des objectifs atteignables. Puis j’ai découvert le coworking, d’abord dans les espaces de coworking classiques, puis le coworking à domicile avec CoHome. En fait j’ai découvert que même si on avait sa propre activité en tant que freelance, on n’était pas seul, qu’il y a un éco-système pour s’entraider, se soutenir, se former, réseauter et partager des apéros 🙂

J’ai finalement trouvé ma vocation : être community manager itinérant, tweet reporter, chargé de RP (presse et publique). Je télétravaille, je suis travailleur nomade, j’ai suffisamment d’opportunités pour pouvoir choisir mes missions, je coworke avec qui j’ai envie. Je vis mon travail et je m’épanouis dedans. Mais surtout, et ça a été le moins évident, je déconnecte vie au travail et vie personnelle, ce qui n’est pas évident pour un freelance. Mais rien n’est parfait et je reste en constante découverte dans ma vie au travail. J’aime dorénavant le partager avec d’autres et je ne suis plus triste à l’idée de parler de ce que je fais au travail. On peut s’émanciper grâce au travail et s’émanciper du travail à la fois.

La génération née après 1980 se trouve prise dans un mouvement vers de nouveaux modes de travail, mouvement né de la crise mais aussi d’un refus de vivre sa vie de « travailleur » comme les générations précédentes. Quelle perception as-tu de ce phénomène ?

Cela a été typiquement le conflit “générationnel” que j’ai vécu pendant 4 ans dans l’association dans laquelle je travaillais. On a voulu m’imposer une forme de management très descendant avec des aller-retours par mail, des corrections dans les documents comme un prof avec un élève, m’imposer des tâches administratives et une méthode d’organisation ne me laissant que peu de marges de manœuvre donc peu d’autonomie. Il y avait aussi le refus d’utiliser des outils collaboratifs pour aller plus vite, aussi le fait de m’imposer des formations dont je n’avais pas besoin. Anecdote, j’ai mis bien 1 an et demi voire 2 ans à les convaincre de se lancer sur les réseaux sociaux alors que mon boulot était d’animer des communautés et de faire connaître un programme d’éducation à l’environnement auprès d’un public large. Au niveau relation entre les salariés et l’équipe dirigeante, il y avait un manque criant de transparence et de confiance entre les 2 parties. Les tranches d’âges étaient différentes : l’équipe dirigeante avait en moyenne 40 ans et l’équipe salariée moins de 30 ans. Donc il y a un vécu de ce conflit de mon côté. C’est ce qui m’a convaincu de “plus jamais ça” dans mon travail. Je suis devenu d’autant plus exigeant dans le choix de me mes missions ainsi que dans ma manière de travailler dans des collaborations, en tant que freelance. Les nouveaux modes de travail : utilisation du numérique, des réseaux sociaux, de l’horizontalité, de la demande d’autonomie dans la gestion du travail, du choix du lieu de travail, d’une forme de liberté de mouvement, tout cela était quasi impossible quand je travaillais dans cette association, et maintenant c’est mon quotidien. Et j’en suis heureux.

Tu es membre de Génération Précaire, OuiShare, Labyrinthe.info : des assos et medias porte-parole des transformations du travail et de la place des jeunes générations dans ces nouvelles configurations. Quels enjeux, quels moyens d’actions et quels constats, au jour d’aujourd’hui, pour ces acteurs ?

D’un point de vue Génération Précaire, je constate que notre génération Y/Z voit dans le CDI quelque chose d’inaccessible. De plus en plus de jeunes acceptent, par défaut, de commencer leur carrière professionnelle en passant par des contrats précaires type stage, service civique, autoentrepreneuriat. Je vois plus une génération résignée qu’une génération optimiste. Par contre d’un autre côté je vois une génération exigeante sur la façon dont on veut travailler, choisir son lieu de travail, être autonome, etc. Je dirai que l’enjeu aujourd’hui est de sortir des sentiers battus, de construire son propre chemin, se faire confiance et dessiner/construire soi-même son travail. Dire aux jeunes : ne soyez pas résignés, que vous ayez un diplôme ou pas, vous pouvez créer vos opportunités et votre propre monde du travail. Je vois des travailleurs qui inventent leur travail et qui veulent non pas seulement gagner de l’argent, mais être heureux et épanouis dans leur travail. Je vois des lieux de travail qui n’en sont pas et des lieux conviviaux qui deviennent des lieux de travail, en fait je vois des lieux hybrides où l’on peut passer d’un moment de détente à un moment de concentration. Je vois le monde du travail comme un terrain de jeu, notamment dans mon cas où, en tant que communicant, je peux bosser de n’importe où. Les moyens d’action sont nombreux : raconter sa vie au travail à travers un blog où les réseaux sociaux, ne pas hésiter à demander de l’aide à sa communauté pour de l’aide, être curieux, ne pas être seul. Sur un plan collectif il y a plusieurs pistes à la fois : développer de nouveaux espaces “hybrides” dans les lieux péri-urbains ou ruraux pour “rapprocher le travail, et le lieu de travail, de ceux qui veulent travailler”, mieux accompagner et former les jeunes sans diplômes et surtout les écouter, rééquilibrer la relation salarié/employeur peut-être en supprimant le lien de subordination, sécuriser les parcours des travailleurs indépendants et leur permettre d’avoir une véritable sécurité sociale professionnelle, développer les nouvelles formes de travail et les nouvelles économies dans les territoires où il y a peu d’emplois, mettre en place un revenu universel pour permettre à tous de choisir leur travail et ne pas le subir.

Tu as pu parcourir le recueil « Au bal des actifs ». Le texte qui t’as le plus interpellé ?

C’est la nouvelle de Laure et Laurent Kloetzer La fabrique de cercueils, qui m’a le plus marqué, je dirais. La raison est simple, l’aliénation au travail, le fait de trouver du sens dans son travail, de pouvoir s’organiser et surtout ne pas s’y sentir prisonnier, c’est pile un des enjeux du monde du travail actuel. C’est la réalité que vivent des milliers de salariés aujourd’hui, piégé par le “travail”. En sortir serait, en tant qu’impression, comme tout abandonner et être en marge de la société car c’est tout pour eux. Donc y rester et jouer le jeu avec les règles prédominantes de la mise en concurrence en interne est leur seul moyen de survivre. C’est aussi l’histoire de tous ces jeunes diplômés français qui démarrent leur vie professionnelle, obtiennent leur premier CDI et vivent l’enfer de la prison du travail, du management inhumain, qui se taisent pour pouvoir avoir un “contrat de travail et une sécurité sociale professionnelle”. Les salariés ne comprennent parfois plus ce qu’ils font et sont enfermés dans les systèmes de notation. La performance est devenue l’objectif premier plutôt que le contenu du travail. Le quantitatif avant le qualitatif. On a beau avoir fait des études, acquis une compétence, on se retrouve à faire un travail dont on n’a absolument pas le contrôle. C’est ce qui m’a fait partir du monde de l’entreprise classique.

Enfin, si tu devais écrire une nouvelle sur le travail de demain, quel serait ton angle d’attaque ?

Un monde du travail sans lien de subordination avec des entreprises complètement autogérées et avec une démocratie interne au top ! Les salariés ou disons “les collaborateurs” auraient le choix de leur mission, progresseraient dans l’entreprise en choisissant eux-mêmes les nouvelles tâches qu’ils veulent, créeraient leurs propres opportunités, ne se verraient pas imposés de formation. En gros, ce serait un monde du travail où les salariés ou “collaborateurs” auraient une totale emprise sur leur travail et leur carrière professionnelle.

– Propos recueillis par Anne Adam

Vincent Laurent
Vincent Laurent

#DemainLeTravail propose également à quelques invités de s’exprimer sur leur perception des devenirs du travail.Rencontre aujourd’hui avec Vincent Laurent, membre de Génération Précaire …

Salut, Vincent ! Tu es « CM itinérant », membre d’assos qui repensent et explorent activement la réalité – et les devenirs – du travail. Peux-tu revenir pour nous sur ton parcours ?

Très tôt dans mes études, j’ai su exactement ce que je ne voulais pas faire comme travail, et là où je voulais m’épanouir. La quête de sens et la lutte contre l’ennui ont été, depuis mon DUT Gestion entreprise et administration en 2005-2007, des premiers éléments constitutifs de ma façon de penser le travail. C’est ce qui m’a poussé à fait faire un premier choix : effectuer un Erasmus en Finlande 3 mois, en terre inconnue donc, et ne pas faire un stage en face de chez mes parents auprès d’une maison de retraite comme assistant RH. Le second choix aura été d’étudier la gestion des associations et notamment la gestion de projets dans l’ESS à Fontainebleau. Le lieu de mes études (la forêt) correspondait à la Finlande d’où je revenais tout juste. À la fin de mes études, ma première désillusion a été de ne pas trouver tout de suite le poste que je recherchais. J’ai donc accepté, par défaut, cette règle du jeu qui est de passer par la case “contrat/statut précaire” et donc, pour mon cas, par un service civil volontaire dans une association étudiante. Ceci m’a permis de me faire rentrer dans le monde associatif et de me faire un réseau.

Et c’est juste après cette première expérience que j’ai trouvé mon premier CDI (en 2009) : chargé de projets en éducation à l’environnement auprès d’un public jeune (avec voyages/déplacements, en France et à l’étranger). 4 ans j’y ai travaillé et là aussi, désillusion, je me suis rendu que malgré le sens de la mission (éduquer les jeunes aux enjeux des changements climatiques) je m’ennuyais de plus en plus. Tous les jours les mêmes tâches administratives, les mêmes mails à traiter, le même calendrier chaque année, la même routine. Le management n’a pas joué en ma faveur non plus. Me demander d’être et de faire ce que je ne veux pas et ce que je ne trouve pas avoir de sens par rapport à ma mission, c’était ne plus me considérer. Me faire porter la responsabilité de mon inefficacité lors de plusieurs réunions, ça a eu l’effet inverse de celui escompté, qui était de me remettre au boulot. Cela m’a fait souffrir et démotivé encore un peu plus. J’ai d’ailleurs été arrêté par la médecine du travail pendant la dernière année. Dans le cadre de mes missions, je souhaitais notamment développer les réseaux sociaux, animer la communauté et la faire grandir. Ce fut un échec. En tous cas, en ma présence, puisque depuis l’association s’y est mise. Bref. Ma conviction pour ce sujet n’aura pas été inutile.

À côté de ce travail, depuis 2009, je m’étais engagé dans différentes associations : une association étudiante où j’ai pu découvrir la gestion d’une association ainsi qu’au REFEDD (premier engagement écolo); Le Blog du DD devenu Labyrinthe.info où j’ai pu découvrir le monde du digital, de l’influence et l’organisation d’événements; en 2011 avec Génération Précaire où j’ai pu être amené à intervenir dans les médias et à de multiples réunions en présence d’acteurs publics ou privés (politique, syndicats, …) pour faire avancer la cause des jeunes stagiaires précaires et des volontaires en service civique; puis en 2013 Alternatiba et l’engagement pour le climat à travers la mise en avant d’initiatives locales et la mobilisation pour un grand événement en septembre 2015 avant la COP21.

Ce sont tous ces engagements associatifs qui m’ont mis en confiance et convaincu que je pouvais être capable de faire autre chose que mon ancien travail. J’y ai acquis des expériences mais aussi j’ai trouvé un sens à ma vie grâce à l’engagement pour des causes : l’écologie, la lutte contre la précarité, les initiatives locales innovantes, les nouvelles formes de travail, … De tout cela, j’ai fait mon métier et mon activité.

Ma nouvelle vie au travail a commencé dès lors que j’ai quitté ce job, en 2014, après une rupture conventionnelle (alors que mes patrons de l’époque voulaient me proposer une démission indemnisée donc sans les droits. En refusant leur proposition je me suis affirmé). Puis après une mission de 2 mois et demi pour la campagne des municipales des écolos dans le 20e, j’ai fait une pause, je me suis promené en France, je me suis recherché un peu plus encore. Après quelques rendez-vous avec des amis, et une formation à Hopwork, le travail indépendant ou “freelancing” est devenu comme une évidence. Je voulais choisir mon métier, mon travail et mon organisation du travail. Et c’est Aurélia, qui avait animée la formation Hopwork “la posture du freelance” qui m’a mis le pied à l’étrier. D’un coup j’ai : commencé une mission de relations presse pour un entrepreneur social et suis rentré à Coopaname (coopérative d’activité et d’emploi) pour ensuite me faire CDIsé. J’ai découvert alors, après une certaine adaption, que ça me plaisait de travailler de chez moi, de choisir mes horaires en fonction de ma forme, de me fixer des objectifs atteignables. Puis j’ai découvert le coworking, d’abord dans les espaces de coworking classiques, puis le coworking à domicile avec CoHome. En fait j’ai découvert que même si on avait sa propre activité en tant que freelance, on n’était pas seul, qu’il y a un éco-système pour s’entraider, se soutenir, se former, réseauter et partager des apéros 🙂

J’ai finalement trouvé ma vocation : être community manager itinérant, tweet reporter, chargé de RP (presse et publique). Je télétravaille, je suis travailleur nomade, j’ai suffisamment d’opportunités pour pouvoir choisir mes missions, je coworke avec qui j’ai envie. Je vis mon travail et je m’épanouis dedans. Mais surtout, et ça a été le moins évident, je déconnecte vie au travail et vie personnelle, ce qui n’est pas évident pour un freelance. Mais rien n’est parfait et je reste en constante découverte dans ma vie au travail. J’aime dorénavant le partager avec d’autres et je ne suis plus triste à l’idée de parler de ce que je fais au travail. On peut s’émanciper grâce au travail et s’émanciper du travail à la fois.

La génération née après 1980 se trouve prise dans un mouvement vers de nouveaux modes de travail, mouvement né de la crise mais aussi d’un refus de vivre sa vie de « travailleur » comme les générations précédentes. Quelle perception as-tu de ce phénomène ?

Cela a été typiquement le conflit “générationnel” que j’ai vécu pendant 4 ans dans l’association dans laquelle je travaillais. On a voulu m’imposer une forme de management très descendant avec des aller-retours par mail, des corrections dans les documents comme un prof avec un élève, m’imposer des tâches administratives et une méthode d’organisation ne me laissant que peu de marges de manœuvre donc peu d’autonomie. Il y avait aussi le refus d’utiliser des outils collaboratifs pour aller plus vite, aussi le fait de m’imposer des formations dont je n’avais pas besoin. Anecdote, j’ai mis bien 1 an et demi voire 2 ans à les convaincre de se lancer sur les réseaux sociaux alors que mon boulot était d’animer des communautés et de faire connaître un programme d’éducation à l’environnement auprès d’un public large. Au niveau relation entre les salariés et l’équipe dirigeante, il y avait un manque criant de transparence et de confiance entre les 2 parties. Les tranches d’âges étaient différentes : l’équipe dirigeante avait en moyenne 40 ans et l’équipe salariée moins de 30 ans. Donc il y a un vécu de ce conflit de mon côté. C’est ce qui m’a convaincu de “plus jamais ça” dans mon travail. Je suis devenu d’autant plus exigeant dans le choix de me mes missions ainsi que dans ma manière de travailler dans des collaborations, en tant que freelance. Les nouveaux modes de travail : utilisation du numérique, des réseaux sociaux, de l’horizontalité, de la demande d’autonomie dans la gestion du travail, du choix du lieu de travail, d’une forme de liberté de mouvement, tout cela était quasi impossible quand je travaillais dans cette association, et maintenant c’est mon quotidien. Et j’en suis heureux.

Tu es membre de Génération Précaire, OuiShare, Labyrinthe.info : des assos et medias porte-parole des transformations du travail et de la place des jeunes générations dans ces nouvelles configurations. Quels enjeux, quels moyens d’actions et quels constats, au jour d’aujourd’hui, pour ces acteurs ?

D’un point de vue Génération Précaire, je constate que notre génération Y/Z voit dans le CDI quelque chose d’inaccessible. De plus en plus de jeunes acceptent, par défaut, de commencer leur carrière professionnelle en passant par des contrats précaires type stage, service civique, autoentrepreneuriat. Je vois plus une génération résignée qu’une génération optimiste. Par contre d’un autre côté je vois une génération exigeante sur la façon dont on veut travailler, choisir son lieu de travail, être autonome, etc. Je dirai que l’enjeu aujourd’hui est de sortir des sentiers battus, de construire son propre chemin, se faire confiance et dessiner/construire soi-même son travail. Dire aux jeunes : ne soyez pas résignés, que vous ayez un diplôme ou pas, vous pouvez créer vos opportunités et votre propre monde du travail. Je vois des travailleurs qui inventent leur travail et qui veulent non pas seulement gagner de l’argent, mais être heureux et épanouis dans leur travail. Je vois des lieux de travail qui n’en sont pas et des lieux conviviaux qui deviennent des lieux de travail, en fait je vois des lieux hybrides où l’on peut passer d’un moment de détente à un moment de concentration. Je vois le monde du travail comme un terrain de jeu, notamment dans mon cas où, en tant que communicant, je peux bosser de n’importe où. Les moyens d’action sont nombreux : raconter sa vie au travail à travers un blog où les réseaux sociaux, ne pas hésiter à demander de l’aide à sa communauté pour de l’aide, être curieux, ne pas être seul. Sur un plan collectif il y a plusieurs pistes à la fois : développer de nouveaux espaces “hybrides” dans les lieux péri-urbains ou ruraux pour “rapprocher le travail, et le lieu de travail, de ceux qui veulent travailler”, mieux accompagner et former les jeunes sans diplômes et surtout les écouter, rééquilibrer la relation salarié/employeur peut-être en supprimant le lien de subordination, sécuriser les parcours des travailleurs indépendants et leur permettre d’avoir une véritable sécurité sociale professionnelle, développer les nouvelles formes de travail et les nouvelles économies dans les territoires où il y a peu d’emplois, mettre en place un revenu universel pour permettre à tous de choisir leur travail et ne pas le subir.

Tu as pu parcourir le recueil « Au bal des actifs ». Le texte qui t’as le plus interpellé ?

C’est la nouvelle de Laure et Laurent Kloetzer La fabrique de cercueils, qui m’a le plus marqué, je dirais. La raison est simple, l’aliénation au travail, le fait de trouver du sens dans son travail, de pouvoir s’organiser et surtout ne pas s’y sentir prisonnier, c’est pile un des enjeux du monde du travail actuel. C’est la réalité que vivent des milliers de salariés aujourd’hui, piégé par le “travail”. En sortir serait, en tant qu’impression, comme tout abandonner et être en marge de la société car c’est tout pour eux. Donc y rester et jouer le jeu avec les règles prédominantes de la mise en concurrence en interne est leur seul moyen de survivre. C’est aussi l’histoire de tous ces jeunes diplômés français qui démarrent leur vie professionnelle, obtiennent leur premier CDI et vivent l’enfer de la prison du travail, du management inhumain, qui se taisent pour pouvoir avoir un “contrat de travail et une sécurité sociale professionnelle”. Les salariés ne comprennent parfois plus ce qu’ils font et sont enfermés dans les systèmes de notation. La performance est devenue l’objectif premier plutôt que le contenu du travail. Le quantitatif avant le qualitatif. On a beau avoir fait des études, acquis une compétence, on se retrouve à faire un travail dont on n’a absolument pas le contrôle. C’est ce qui m’a fait partir du monde de l’entreprise classique.

Enfin, si tu devais écrire une nouvelle sur le travail de demain, quel serait ton angle d’attaque ?

Un monde du travail sans lien de subordination avec des entreprises complètement autogérées et avec une démocratie interne au top ! Les salariés ou disons “les collaborateurs” auraient le choix de leur mission, progresseraient dans l’entreprise en choisissant eux-mêmes les nouvelles tâches qu’ils veulent, créeraient leurs propres opportunités, ne se verraient pas imposés de formation. En gros, ce serait un monde du travail où les salariés ou “collaborateurs” auraient une totale emprise sur leur travail et leur carrière professionnelle.

– Propos recueillis par Anne Adam

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Grand prix SGDL : 3 auteurs de La Volte séléctionnés

Grand prix SGDL : 3 auteurs de La Volte séléctionnés

La Société des Gens de Lettres (SGDL), qui remet chaque année douze prix littéraires dotés et trois bourses de création, crée un nouveau prix destiné à récompenser une œuvre de littérature relevant du domaine de l’imaginaire. Trois auteurs de La Volte ont été sélectionnés.

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